Une Flûte éclatée à l’OdM
L’opéra La Flûte Enchantée de Mozart occupe une place toute particulière dans mon coeur. En effet, même si j’ai chanté le rôle de la Reine de la Nuit à quelques reprises, dont une fois à Salzbourg dans le cadre d’un inoubliable stage vocal, j’ai l’impression de (re)découvrir cette oeuvre à chaque nouvelle écoute, ce que j’ai encore fait mardi dernier à l’Opéra de Montréal.
Que ce soit à travers la partition, dont la perfection musicale ne peut qu’émerveiller, ou encore à travers le symbolisme et les personnages-archétypes de son histoire, Die Zauberflöte est à la fois énigmatique et enchanteresse.
Du symbolisme maçonnique au cinéma muet
Dans un pari qui n’était pas du tout gagné d’avance et qui, pourtant, a su conquérir les maisons d’opéra à travers le monde, le collectif anglais 1927, qui a signé la production atypique de 2 millions de dollars, s’est tenu loin (très loins) des codes traditionnels de ce canon du répertoire opératique.
En effet, la mise en scène, une véritable ode au cinéma expressionniste allemand des années 1920, s’articule autours de projections qui s’entrecroisent habilement avec l’intrigue du livret de Schikaneder. L’effet est tellement réussi que c’est à s’y méprendre; on a tantôt l’impression de regarder un dessin animé, tantôt un film muet.
De plus, les projections font non seulement partie intégrante du décors, mais aussi par moment de la distribution, représentant ici et là des animaux, des personnages fantastiques, et j’en passe.
Autre mise à jour importante: le remplacement des dialogues, caractéristiques des Singspiels (traduction littérale: chante-parle), au profit de sous-titre sur fond musical qui sont non sans rappeler ceux du cinéma muet de l’époque.
Les puristes décrieront ce « sacrilège », mais personnellement, je trouvais le concept rafraîchissant, surtout si l’on considère que la vaste majorité du public montréalais ne parle pas l’Allemand, ce qui rend le tout difficile à suivre…
Côté costumes, j’ai adoré revisiter ces personnages si connus dans une mode des années 1920 malgré l’univers fantasque dans lequel ils évoluaient. Papageno ressemblait par moments à Charlie Chaplin, les trois dames avaient des allures de Greta Garbo et Pamina arborait une petite coupe garçonne si populaires lors des années folles, jusqu’à sa transformation après l’épreuve du temple où elle « devient une femme ».
Une distribution solide
Le casting de cet opéra est probablement l’un des plus difficiles à réussir de tout le répertoire. D’abord, il y a peu de rôles réellement secondaires. En effet, même les 3 dames sont à peu près autant sur scène que la Reine de la Nuit , dont le rôle virtuose est le clou du spectacle mais qui elle-même n’est techniquement pas le personnage principal (ce sont les deux amants au destin incertain, Tamino et Pamina). Les partitions de chaque rôle reflètent ceci et le niveau doit être au rendez-vous.
De plus, une très grande variété de types vocaux est requise pour pouvoir monter cet opéra, allant de la basse à la soprano colorature dramatique, en passant par le ténor mozartien, la soprano lyrique et le baryton.
Dans cet exercise, l’Opéra de Montréal frappe fort. Tamino, dont les airs sont particulièrement difficiles pour les ténors, a tout les allures physiques et vocales d’un jeune premier, tout comme sa Pamina, qui a chanté un magnifique Ach, ici fühls. La Reine de la Nuit a livré magistralement ses deux airs et le public en redemandait. Papageno, dont la voix était belle et lyrique, était lui aussi excellent et très expressif. Enfin, Sarastro a fait ce que Sarastro doit faire, c’est à dire chanter beaucoup de notes très graves, ce qui semblait facile pour lui.
Une production qui renouvelle le genre opératique
Je me sens particulièrement privilégiée d’avoir pu assister à cette édition de La Flute Enchantée, qui fait le tour du monde depuis 2012 et qui était présentée à guichet quasi-fermé. Cette co-mise en scène entre celui que l’on surnomme l’enfant terrible de l’opéra, Barrie Kosky, ainsi que Suzanne Andrade du collectif 1927, était tout simplement époustouflante.
Les dessins et l’animation de Paul Barritt, également du collectif 1927, en font un spectacle unique en son genre qui réinvente carrément l’opéra. Espérons que le futur nous réserve beaucoup de productions tout aussi innovatrices à l’Opéra de Montréal!
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