Un vent de modernité à l’Opéra avec La Reine Garçon
Qu’on se le dise, malgré mon amour inconditionnel pour l’art lyrique, force m’est d’avouer que la trame narrative de certaines oeuvres peut parfois être qualifiées comme appartenant à son époque, pour ne pas dire qu’elle est carrément désuète.
Cette saison, l’Opéra de Montréal a une fois de plus fait appel au duo Julien Bilodeau / Michel-Marc Bouchard pour nous présenter une oeuvre au propos universel et au traitement contemporain.
Une histoire hors du temps
Bien que l’opéra La Reine Garçon nous plonge dans une Suède du 17ème siècle marquée par la guerre de Trente Ans, les thèmes abordés sont entre autre ceux de la quête d’identité (le déchirement de la reine Christine de Suède entre son identité de régente et les devoirs qui en découlent envers son peuple, versus son identité personnelle et sexuelle), ainsi que la quête de liberté.
Le livret de Michel-Marc Bouchard est tout en relief et apporte une modernité à l’art de l’opéra dans sa façon de traiter ce pan de l’histoire. On ressort de la représentation avec plusieurs questions sur le sens de la vie: qui sommes-nous vraiment, chacun dans le carcan de notre condition humaine respective, et est-ce possible de s’en affranchir pour être réellement libre? Qu’est-ce que la liberté, la vraie, après tout?
Une partition contemporaine
Musicalement parlant, la partition de Julien Bilodeau, aux influences rappelant parfois Strauss, parfois le Bel Canto, et même par moments les compositions de Michel Berger (Starmania) rend bien cette modernité.
Elle offre par ailleurs plusieurs moments de beauté tout au long de l’opéra. Afin de bien dépeindre la grandeur du royaume de Suède au 16ème siècle, Bilodeau fait bon usage de toutes les couleurs de l’orchestre symphonique et du choeur dans son écriture, pour un résultat à l’impact maximal. L’OSM dirigé par Jean-Marie Zeitouni rend le tout avec brio.
Un casting irréprochable
Vocalement parlant, l’Opéra n’aurait pu mieux choisir en termes de chanteurs; chacun avait le fach correspondant au rôle qu’il chantait. Les deux protagonistes principaux, Étienne Dupuis en Comte Karl Gustav et Joyce El Khory en régente, étaient en grande forme.
El Khoury était convaincante et touchante dans son interprétation de la reine Christine de Suède. Sa voix riche en couleurs et en nuances savait s’adapter aux différents airs (et sautes d’humeur) de ce personnage complexe, nous faisant ressentir les dilemmes auxquels celle-ci fait face.
Étienne Dupuis était égal à lui-même vocalement, c’est à dire excellent. Son Comte Gustave , personnage à la fois pathétique, antipathique, mais aussi attendrissant par moments, nous faisait tantôt rire (il est très fier de ses gros bras et de ses accomplissements martiaux), tantôt rouler des yeux tant il peut être tone deaf par rapport aux besoins de l’être qu’il dit aimer.
Isaiah Bell s’éclatait visiblement en Compte Johan Oxenstierna, nous entraînant avec lui dans ses délires loufoques. Les apparitions d’Aline Kutan étaient brèves mais mémorables en tant que reine consort; son rire acerbe en colorature était dardé avec la même précision tranchante qu’un lancer de couteaux au cirque. Pascale Spinney, dans le rôle de la Comtesse Ebba Sparre, objet du désir de Christine, charmait autant par sa voix que par son physique.
Une production bien ficelée
La scénographie d’Angela Konrad était pour le moins astucieuse et l’on note une belle utilisation de projections pour dépeindre la neige éternelle, donnant lieu à une rendition féérique de la suède. Côté décors, on était plutôt dans le minimalisme, surtout pour le tableau final, mais chaque module était judicieusement choisi avec des transitions bien orchestrées.
Les costumes, quant à eux, étaient magnifiques et semblaient s’inspirer de l’interprétation des habits d’époque par de grands créateurs de mode comme Jean-Paul Gaultier ou encore Burberry
On y va pourquoi?
Ce n’est pas tous les jours qu’on a droit à une première mondiale à l’opéra, et encore moins lorsque l’oeuvre est une création québécoise. Au delà du fait qu’il est important d’encourager les artistes d’ici, cette production saura réconcilier ceux qui boudent l’art lyrique citant la désuétude de ses propos.
Le spectacle sera présenté pour une dernière fois le 11 février. Dépêchez-vous d’aller voir ce spectacle unique!
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